Derrière les arbres

À travers l’heureux brouillard des amandiers, il n’est plus tout à fait sûr que ce soit la lumière que je vois s’épanouir, mais un vieux visage angoissé qu’il m’arrive de surprendre sous le mien, dans le miroir, avec étonnement.
Derrière les arbres, dans ce gris confus, profitant des failles qui se creusent dans un paysage imprécis et brouillé, c’est peu à peu plein d’ombres qui cherchent leur chemin, quand elles en ont encore la force, le désir.
Même à cette distance, cela fait peur ; mais parler d’ombres, c’est encore voiler, amadouer l’horreur réelle, ce qui ferait tache dans les mots si on était contraint de s’approcher. (Et on y sera bien contraint un jour).

Philippe Jaccotet,
A travers un verger
(page 24 édition Fata Morgana)